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© Madeleine Lemaire - Courtesy Art & Communication et Masahide Otani

© Madeleine Lemaire - Courtesy Art & Communication et Masahide Otani

Masahide Otani

Étude d'une confusion entre la perception et l'apparition
Art & Communication, Bordeaux
17 novembre - 4 décembre 2021

 

À claire-voie

Au XVIIe siècle, un chimiste flamand utilise le mot « gas », proche du mot « chaos » en néerlandais, du grec χαος qui désigne dans la mythologie l'espace insondable pré-existant à l'origine des choses. Jean-Baptiste Van Helmont voulait introduire la notion de vide.

À Paris, Masahide Otani observe un camion chargé de bouteilles de gaz. L’artiste est traversé par ce qu’il nomme une « vision de sculpture ». Ces bonbonnes solennelles étaient autrefois présentes chez nous, au fond des caves ou des arrière-cuisines des foyers. Sous pression, l’imposante image suggère un danger possible voire un cataclysme. Le signe s’offre à Masahide Otani, la nature morte est là. Il saisit alors la proximité de ce qui se dévoile sous ses yeux et échappe souvent à l’attention de nos esprits engloutis.

La quête tranquille de Masahide Otani sublime les anecdotes quotidiennes. Ici, les objets semblent en attente. Le flux habituel se trouve interrompu. Chaque apparition témoigne d’une voluminosité  où la présence est vouée au regard. Dans l’état gazeux, la matière n'a ni forme ni volume propre, le gaz occupe l’ensemble. Les grands fantômes dressés portent la marque d’un geste, la conséquence même du temps sur la matière : le plâtre qui recouvre la toile de jute a été gratté avant d’être doucement oint de cire d’abeille.

En 2009, l’omniprésence de la pratique du moulage sériel visait l’impossible : la disparition totale de l’expression et des affects de l’artiste. Masahide Otani accepte dorénavant ses limites, il renonce au fantasme de la disparition du geste. Douze années après, toujours hanté par l’apparition des bouteilles de gaz, il assume aujourd’hui ce corps qu’il habite : « quoi que je fasse, je ne peux y échapper » et conçoit une nouvelle série de plâtres sculptés : trente centimètres de diamètre, cent quarante centimètres de hauteur creuse et de plâtre cru adoucis par la cire enveloppante.

S’il se dit indifférent au passé, les figures visionnaires reviennent pourtant à sa mémoire, malgré lui. Les vantaux d’une persienne sont taillés dans du bois de noyer en une seule pièce. Dépourvue de jointures, cette composition à claire-voie de lamelles inclinées arrête les rayons directs du soleil en laissant l'air circuler. Appelées aussi jalousies, les persiennes permettent de scruter l'extérieur sans être vu. L’objet posé au sol suggère à nouveau une vision biaisée.

Ailleurs, une grande peinture verticale tente d’approcher la matérialité de la lumière, ces faisceaux mystérieux qui scindent nos pupilles troublées ou encore endormies. L’artiste cherche ici à retranscrire une observation récurrente. Une fois encore, il ne peut échapper au corps percevant qu’il est.


Élise Girardot, novembre 2021

 

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1. Masahide Otani emprunte cette expression au philosophe Merleau-Ponty.

 

 





 

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